Sitôt le diagnostic d’Alzheimer posé, les personnes malades perçoivent le changement de comportement chez leurs proches.
Comme si la maladie les transformait subitement en être incapable de prendre une décision, d’avoir des goûts, des habitudes.
L’aidant, en voulant bien faire, peut accentuer cette impression de déshumanisation.
Et s’il est déjà dur d’entendre ce diagnostic, être déshumanisé l’est encore plus. La personne malade a déjà peu de perdre son autonomie, de perdre ses souvenirs, de ne plus connaître les noms de ceux qu’elle aime. Elle a déjà énormément de choses à surmonter. Mais quand en plus elle doit se battre contre ses proches pour avoir le droit de rester qui elle est, alors la maladie devient vraiment un calvaire à supporter.
Peut-être que sans y faire attention, vous accentuez cette impression de mal-être chez votre proche. Ce n’est pas grave. L’important est d’en prendre conscience, et de changer son attitude quand on découvre que l’on peut blesser l’autre.
Pour vous aider à vivre en harmonie avec votre proche et pour l’aider à être heureux malgré la maladie, voici quelques conseils à appliquer au quotidien.
Ne cherchez pas à aider votre proche atteint d’Alzheimer dans toutes ses activités.
Votre proche est malade d’une maladie évolutive et invalidante, certes. Mais ce n’est pas une maladie brutale qui le prive soudainement de toutes ces capacités.
Laissez-le faire des activités. Laissez-le vivre sans vous. Sans personne.
Votre proche a besoin comme chacun de quelques moments seuls de faire des choses pour lui-même.
Vous pensez l’aider en lui proposant de jardiner à sa place. Après tout, c’est une activité fatigante. Mais votre proche peut aimer jardiner ! Même si cela lui prend du temps, il a ses journées entières pour se consacrer au jardinage. Même s’il a besoin de faire des pauses ou de faire une sieste l’après-midi. Il peut aimer le faire de s’occuper des plantes, d’organisme vivant. D’apprécier le calme pour écouter le chant des oiseaux. Être dehors et respirer l’air frais.
Laisser votre proche jardiner seul, s’il en a envie, c’est le laisser avoir des moments de plaisir pour lui. C’est aussi lui montrer que vous avez confiance en ses capacités de jardiner. C’est lui laisser la possibilité de choisir le moment où il va dans son jardin, et de choisir ce qu’il y plante.
Bref, c’est le laisser avoir un loisir comme nous en avons tous. Et cela vaut, bien sûr, pour d’autres activités que le jardinage. Cela vaut même pour des activités plus rapides ou qui semblent insignifiantes (vers la vaisselle, se brosser longuement les cheveux, récupérer le courrier, etc.)
Ne donnez pas votre avis sur chaque geste que vous trouvez étrange.
Quand une personne est atteinte d’une maladie d’Alzheimer ou apparentée (démence vasculaire, DFT, mixte, etc.), elle doit s’habituer à ce que chacun pose un regard critique sur ses gestes et paroles.
À chaque moment, les proches se demandent si la personne malade est encore capable de faire telle ou telle chose. Si elle est encore autonome dans son quotidien. Si la maladie n’a pas rongé l’autonomie de la personne un peu plus que la veille.
À chacun ses habitudes !
Quand je faisais la connaissance d’un nouveau patient, j’avais pour habitude d’écouter également les observations de la famille. En effet, le malade est souvent dans le déni de ses troubles et de la maladie (cela s’appelle l’anosognosie).Écouter l’aidant permettait donc d’avoir un autre point de vue sur l’autonomie de la personne.
Mais je faisais toujours attention, car l’aidant, angoissé par la maladie, n’était pas toujours neutre dans son observation de la personne malade.
Ainsi, une fille se plaignait que son père n’était plus capable de faire sa fameuse recette de ratatouille. Elle se plaignait de ses repas monotones.
En discutant avec le monsieur lors d’une mise en situation cuisine, je me suis rendu compte que la réalité était toute autre. La ratatouille était le plat préféré de sa défunte épouse, alors que lui ne cuisinait ce plat que pour lui faire plaisir. Il ne voyait pas l’intérêt de continuer à cuisiner la ratatouille alors que son plat préféré était saucisse-purée. Il m’expliquait également que ces repas étaient certes monotones, mais que c’était voulu. Il s’était conçu une semaine type. Ainsi, il connaissait les proportions et savait qu’il n’y aurait pas de restes ou de gaspillage à la fin de la semaine. Certes, c’était également pratique pour lui de ne pas avoir à réfléchir à la liste de courses ou à mille recettes différentes, mais sa maladie n’était pas la seule raison à son changement d’alimentation.
De la même façon, je devais faire attention lors de mes bilans à domicile. Par exemple, lors de bilan toilettes, je devais m’interroger avant de noter que la personne oubliait certaines zones du corps. Certes elle ne s’est pas lavé le dos ou le dessous des pieds. Mais est-ce qu’elle le faisait avant la maladie ? Nous n’avons pas tous les mêmes habitudes sous la douche. De la même façon, certains gestes que je pouvais trouver étranges ou désordonnés faisaient partie des habitudes des personnes.
Des anomalies qu’il ne sert à rien de faire remarquer.
Même si ce geste étrange ne fait pas partie des habitudes de la personne, il ne servira à rien de lui faire remarquer.
Peut-être que ce nouveau geste en remplace un autre que votre proche a conscience de ne plus savoir faire.
Peut-être aussi est-ce une erreur. Mais la faire connaître à votre proche ne l’aidera pas. Votre proche oublie, perd en autonomie. C’est la maladie. Il ne faut pas chercher à lui faire apprendre de ses erreurs. Remarquer qu’il se trompe ne fera que l’attrister, ou cela le mettra en colère. Il ne veut pas que vous le jugiez incompétent et se demandera de quel droit vous vous permettez de le juger.
Demandez-lui son avis.
Avec la maladie d’Alzheimer, beaucoup de choses vont changer dans la vie de votre proche.
Certaines choses seront imposées à cause des symptômes qui peuvent le mettre en danger (changement des plaques au gaz pour un système à induction, installation de la téléalarme, etc.) L’important est la sécurité de la personne.
Pour le reste, un peu de souplesse ne fera de mal à personne. Si votre proche peut être au centre des décisions, cela lui permettra d’être plus heureux et coopératif.
Par exemple, la toilette se passera mieux si on lui demande son avis. Il pourra dire s’il préfère la faire le matin ou le soir. S’il préfère la douche ou la toilette au lavabo. S’il n’aime pas un des soignants qui vient l’aider, etc.
En écoutant la personne nous expliquer ses désirs au sujet de la toilette, on lui donne l’impression qu’elle compte vraiment. Lui imposer les choses sans la consulter, c’est lui donner l’impression qu’elle n’est qu’un meuble à réparer.
De manière générale, consultez toujours votre proche. Mais écoutez aussi sa réponse.
Parfois, votre proche vous dira non pour une activité. Si cela vous surprend, essayez de connaître la raison. Peut-être qu’il n’aime pas les participants, qu’il a mal quelque part, qu’il ne veut pas prendre la voiture pour y aller, qu’il a peur d’échouer, etc. En écoutant ses besoins, vous pourrez peut-être trouver les bons arguments pour le faire changer d’avis. Il sera alors content de faire cette activité, et de savoir que son avis et ses peurs ont été pris en compte.
Parallèlement, acceptez aussi que parfois votre proche puisse vous dire non, juste parce qu’il n’a pas envie de faire votre activité. Peut-être qu’elle n’est pas adaptée pour lui. Peut-être qu’il n’a jamais aimé ça, ou qu’il n’aime plus ça.
Laissez à la personne atteinte d’Alzheimer le droit de changer d’avis.
Malade d’Alzheimer ou pas, on change tous d’avis.
La maladie d’Alzheimer peut évoluer sur dix ans. En dix ans, combien de fois avez-vous changé vos habitudes ?
Nos goûts changent avec les modes, avec l’âge.
Une activité qui lui plaisait avant peut ne plus l’intéresser. Il peut avoir appris suffisamment de choses sur l’histoire. Il peut trouver l’activité trop fatigante.
Pour les vêtements, votre proche peut s’être lassé de porter toujours ce même chemisier. Il veut peut-être se calquer un peu plus sur l’apparence d’une personne vue à la télévision, sur les jolies couleurs que porte l’aide-soignant(e).
Son rythme peut également changer. Ainsi, peut-être qu’il voudra décaler l’heure de la toilette. En effet, avec le temps peut-être qu’il s’est mis à se lever plus tôt et qu’il ne veut plus attendre si longtemps le passage du soignant. Peut-être qu’au contraire, il se sent ankylosé le matin et a besoin de plus de temps avant d’être en forme pour se laver. Le forcer à garder son créneau pour la toilette, c’est le contrarier dans l’organisation de sa journée, voire lui demander de se laver alors qu’il a mal aux articulations quand il se penche ou qu’il lève les bras.
Les goûts alimentaires de votre proche peuvent changer également. Il a peut-être trop mangé d’un aliment et il ne veut plus en entendre parler. Ou il a été malade après avoir mangé du poisson et ne veut plus retenter l’expérience. Peut-être qu’il boude les morceaux de viande qu’il a du mal à couper et à mâcher. Ou tout bêtement, ses goûts ont pu changer. On a remarqué que les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer développent une appétence pour le sucre. Cela peut expliquer le fait qu’il se mettent à manger moins lors du plat pour pouvoir garder de l’appétit pour le dessert. Ou tout simplement, il peut se mettre à préférer le sucré de la carotte à l’amertume de l’épinard.
Une personne atteinte d’Alzheimer n’est pas qu’un malade, c’est une personne !
Avant d’intervenir auprès de votre proche, essayez de vous mettre à sa place. Est-ce que vous n’avez pas, vous aussi, changé d’habitudes à un moment de votre vie. Est-ce que vous aimez toujours autant tel aliment qu’à une autre époque de votre vie ? Est-ce que vous pratiquez toujours les mêmes activités qu’il y a dix ans ? Est-ce que vous appréciez quand une personne essaie de changer vos habitudes ? (Par exemple, une belle-mère qui vient chez vous et vous conseille d’agencer votre cuisine autrement, ou un invité qui vous recommande d’ajouter un ingrédient différent à votre recette préférée ?).
Ce n’est pas toujours évident de faire ce travail sur soi. Vous manquez de temps, vous êtes fatigués, stressés. Mais je vous assure qu’en prenant le temps de vous mettre à la place de votre proche malade ou celui d’écouter son opinion, vous vous sentirez beaucoup mieux.
Non seulement votre relation évoluera vers quelque chose de plus positif, parce que vous ne serez plus la personne qui juge et qui impose des choses.
Mais en plus, votre proche sera plus agréable, plus coopératif au quotidien, ce qui vous fera économiser bien du temps et de l’énergie.
Merci en effet pour cet article.
Nous sommes souvent très démunis devant la maladie et déconcertés par le changement de nos proches et la perte du cognitif.
Cet article m’éclaire un peu, effectivement nous, aidants, avons sans doute trop d’attentes par rapport à ce que nous avons connu de nos proches, en fait peut être est ce à nous aussi de changer notre regard.
Article très pertinent une fois de plus, merci beaucoup de nous rappeler qu’ils sont toujours là et qu’il est important de les traiter comme des personnes et non des malades.
Merci à vous 🙂